« A voté »

Ça a commencé comme ça. Par ces deux mots, le bruit de la trappe de l’urne, le son de l’enveloppe que l’on décachette, du bulletin que l’on déplit, la lecture du nom de la liste, l’encre du stylo qui parcourt la feuille, l’explosion de joie des vainqueurs et le souffle court des vaincus.

Puis, ce fut les sonneries de téléphones, textos, des autres notifications numériques sociales, le vrombissement des courriels, le parapheur que l’on ouvre, l’écharpe qui glisse sur la chemise et les applaudissements.

Ensuite, c’est les tintements de voix par centaines et milliers, les sollicitations nombreuses, les réunions courtes, celles interminables, les convocations, invitations : Monsieur le President du Conseil départemental vous convie, Madame le maire vous invite, Monsieur le président de la Communauté de Communes requiert…

C’est enfin la langueur des paroles, des pleurs, des rires, des agacements, des joies retenues, indolentes et rageuses.

C’est fait de tout cela la vie d’un élu.

Et puis un jour, parce que tout ce qui a commencé est appelé à finir, cela s’arrête, cela se tait.

SILENCE.

Abominable, oppressant, j’imagine.

C’est comme si rien de ce qui s’était passé avant ne semblait avoir existé. Le bruit des sollicitations, les dossiers que l’on ouvre, referme. Le papier mille fois imprimé, annoté, raturé, signé, plié, classé, froissé, déchiré.

D’un coup d’un seul, plus rien.

Peut être juste le bruit du vent dans le feuillage des hauts peupliers, sous l’âcre senteur d’un été qui refuse de s’éteindre, quand d’ordinaire l’automne aurait dû prendre ses droits.

J’imagine tout cela et plus encore, moi qui n’est même pas un an dans le costume de Maire-adjoint.

Alors, en attendant la dernière note du canon, je crois qu’il me reste encore beaucoup de champs de batailles à fouler. Certains porteront la marque de mes succès quand d’autres resteront marqué de leurs absences.

Je profite alors de ce moment présent, car comme tout, comme toi, comme moi, un jour seulement, tout cela finira.

Il faudra et pour une ultime fois, conduire l’archivage de ce qui fut.

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Ecrire l’ennui.

J’écris.

J’écris pour ne pas m’ennuyer, pour ne pas avoir l’esprit qui cogne sur chacun de mes murs mentaux. J’écris comme je cours, sans préparation, sans technique, sans but aussi. J’écris car je m’ennuie et l’idée même de l’ennui me révulse d’abord, m’angoisse ensuite, me paralyse enfin.

Le problème, c’est que justement l’ennui me prend d’un coup. Un changement de rythme, une légère inflexion de tempo et me voici en proie au plus grand des spleens. Voilà pourquoi, je peine à prendre du repos, quelques jours ou simplement des vacances.

Chaque pas de ma vie a une raison d’être, un but précis ; l’ennui, c’est le grain de sable, l’improvisation, la divagation sauvage. Il me guette, chuchote comme seuls chuchotent les enfants perdus dans les bois où leurs rires ricochent sur les troncs noirs des arbres sans vie.

Invariablement je m’allonge sur le canapé, la tête calée contre mon gros coussin jaune-vert, sous la pâle lueur du petit réverbère jetant dans la pièce, au plafond cathédrale, les ombres immenses de mes doutes. Je tends le bras vers le plateau, en plastique blanc, supportant une tasse de thé noir soit un earl-grey bien tassé, soit un léger Souchong à la robe ambrée.

Alors, mon esprit divague, seulement préoccupé par les tapotements de la queue du chat sur le sofa et la clameur de la nature, au dehors. 

Tout y est calme, le soleil slalome entre les nuages, le bruit de l’eau, cette onde vive canalisée par des berges centenaires, reflète le vol des oiseaux pareil à celui du vent qui fait frétiller en froissements par milliers, les feuilles de peupliers.  La neuvaine, contre la bibliothèque, danse au fond de la pièce, hypnotisant mon esprit, accaparant mes sens et si finalement c’était elle, mon ennemie?

L’oisiveté.

Oui, à cet instant précis je suis oisif, complètement oisif devant toutes ces choses qui fondent sur moi : les nouvelles responsabilités, la nécessité de trouver un travail, les basses obligations administratives et fiscales qui nous ramènent à la matérialité de notre existence quant au final on ne manque que de l’essentiel, c’est à dire du spirituel. 

Je ne parle pas de religion, je parle de ce quelque chose, qui au fond de nos tripes, nous rappelle que nous sommes fait d’autre chose que de chaire, d’eau et d’os. C’est ce petit grésillement électrique qui se propage en nous, l’eau est le plus grand de tous les conducteurs, et qui parfois parcours notre échine. Un souffle sur notre nuque, le sentiment d’être observé quand on est certain d’être seul, l’ombre dans le miroir qui s’évanouit.

C’est le cri du héron qui me sortit de cette torpeur malingre. Il passe sous mes fenêtres, élégant échassier aux plumes grises cendrées. L’oiseau s’enfuit et mon regard avec lui.

La nuit est arrivée. Je rabats le plaid sur mon torse nu, le chat n’a pas bougé. Il est allongé de tout son long contre ma cuisse, le thé est froid. En fait, tout importe peu à ce moment précis.

Je lève les yeux vers le plafond, où il y a trois ans en m’installant ici, j’ai agrafé un petit épouvantail à la jointure des poutres. J’oublie trop souvent qu’il est là, veilleur silencieux, gardien du temple stoïque. Si parole lui était donnée, il en aurait des choses à raconter. Il vous dirait les fièvres folles, les rires ardents, les silences de l’après, le calme qui précède les orages.

Oui, il vous dirait tout cela et bien plus encore. Il se peut même qu’il vous dise que parfois, ivre d’ennui, je me suis endormi.

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